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CARINE B., FONCTIONNAIRE ET MILITANTE, A CHANGE D'IDENTITE IL Y A DIX ANS:
«La violence est permanente et systématique depuis l'enfance»


Carine B., 50 ans, fonctionnaire dans un ministère, est militante d'Act Up Paris. Elle détaille les revendications des trans au regard de son propre parcours.

A quel type de violences les personnes trans sont-elles le plus souvent confrontées?

La violence est permanente, systématique et s'exerce depuis l'enfance. Elle est d'abord physique. A Marseille, une transexuelle a été assassinée en mars de quarante-sept coups de couteaux, émasculée, et décapitée. Mais qui l'a su? C'est vraiment de la haine par rapport à son vécu. Il y a régulièrement des meurtres en France, mais on n'en parle pas: il y a au moins une trentaine de victimes depuis dix ans. De plus, en 2005, la transphobie n'a même pas été retenue comme une discrimination dans la nouvelle loi. Résultat, ce type d'actes ou de propos ne peut être ni pénalisé, ni constituer une circonstance aggravante. A la difficulté de ne pas correspondre au sexe auquel on a été assigné s'ajoute une violence médicale qui accorde ou refuse un accès au soin, selon des critères qui ressortent de la maltraitance théorique. Et qui empêche le droit à disposer de son corps.

Vous demandez une dé-psychiatrisation de la transexualité...

La trans-identité est considérée comme une maladie psychiatrique, comme l'était l'homosexualité il y a trente ans. Pour toute personne désireuse d'effectuer une transition, il existe un protocole de deux ans, véritable torture. Avec une série d'évaluations, de tests et de conditions. Ainsi, pour être un «trans primaire» il faut être hétéro dans son futur genre, avoir une vie stable, et ne pas se prostituer. Au final, les médecins «spécialisés» n'ont accès qu'à 15% des personnes concernées. Les autres doivent se débrouiller avec la médecine de ville, et aller chez des gynécos ou des endocrinologues pour se faire prescrire des hormones. Les opérations —entre 6 000 et 15 000 euros— se déroulent à l'étranger. L'ambiguïté, c'est que la Sécurité sociale prend en charge certains de ces protocoles individuels via les affections de longue durée, mais pas d'autres. Certaines opérations en Belgique ou aux Pays-Bas sont remboursées, mais pas ailleurs. C'est la loterie.

Pour ma part, j'ai 50 ans, j'ai fait une transition il y a dix ans par le système D, car je n'étais pas considérée comme une «trans primaire» par l'équipe officielle. Cela s'est très bien passé au niveau personnel et professionnel. Je suis cadre A dans la fonction publique d'Etat. Ma hiérarchie sait que je suis trans, mes compétences ne sont pas remises en cause. Le frein à la sociabilisation réussie reste avant tout le marquage au fer rouge que vous donne la psychiatrisation de votre situation. C'est une véritable assignation à une classe dominée et discriminée. La prise en charge de la trans-identité doit se faire sur une base non-psychiatrique, il suffirait pour cela de modifier le code de santé publique. C'est une revendication unanime des associations. Et la condition pour que les transsexuels sortent de ce monde caché. Tous les trans ne sont pas cantonnés au RMI et à la prostitution. J'en connais qui sont chefs d'entreprise, ingénieurs, enseignants, médecins.

Autre discrimination, la non-prise en compte des trans dans la prévention contre le sida...

Il faut absolument une enquête épidémiologique pour évaluer l'ampleur du sida chez les trans. Si l'on se réfère aux chiffres qui viennent des Etats-Unis ou de Belgique, le taux de contamination oscillerait entre 35 et 50%. La population trans est, en effet, la plus touchée. Il n'y a aucune prévention ciblée sur ce public. Une fille trans se retrouve, après son opération, devant une sexualité nouvelle: certaines vont avoir des rapports non-protégés pour être hétéro de la façon la plus anonyme. D'autres sont persuadées qu'il n'y a pas de risque de contamination. Les transsexuels —qui avaient été assignés femmes et qui sont homosexuels dans leur genre d'arrivée— ont tendance, eux aussi, à prendre des risques. Ils acceptent des rapports anaux sans préservatifs. Il est urgent d'inclure des messages de prévention pour ces types de sexualité dans les campagnes à destination des femmes et des homosexuels.

Matthieu ECOIFFIER
Libération
, samedi 01 octobre 2005 (Liberation - 06:00)

Mis en ligne le 08/10/2005.


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