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FEMME, HOMME,
UN ACCOMMODEMENT INSOLITE


La société telle qu'elle existe et subsiste a créé deux classes sexuelles qui, à travers les différents aspects sociaux et ethniques de notre planète, sont distinctes bien que vivant ensemble dans une osmose qui n'est qu'apparente.

Partons de la Préhistoire, abordons la lecture des livres sacrés: Bible, Talmud, Kabbale, Zohar; survolons les définitions et idées concernant le sexe et le genre, pour continuer par une célèbre citation de Simone de Beauvoir et pour finir un résumé d'ouvrages bien connus des milieux féministes avec en conclusion ce paradoxe que femmes et hommes vivent ensemble mais séparément.

Peut-on adhérer à la thèse de Françoise Héritier sociologue férue d'anthropologie? Elle écrit «à l'aube de l'humanité, Homo sapiens se met à penser, à parler, à donner du sens au monde à partir de ce qu'il voit ou, plus précisément, de ce qu'il distingue: le jour de la nuit, le chaud du froid, le sec de l'humidité, l'homme de la femme». Hypothétiquement, nos ancêtres, observateurs avisés! auraient constaté que leurs corps se ressemblaient anatomiquement et physiologiquement, par les liquides qu'ils produisaient, sperme pour l'un, sang et lait pour l'autre, la femme étant la seule à posséder la faculté de procréer. L'observation de la différence des sexes est pour F. Héritier le fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que scientifique. Elle défend donc la thèse matérialiste de l'existence de deux sexes distincts par des faits biologiques tant élémentaires qu'irréductibles devant s'unir pour engendrer, dans un ordre irréversible de générations reproduisant toujours le même schéma quels que soient leur culture, lieu géographique et le développement de leur société. A travers la diversité, pour la majorité des anthropologues, la relation masculin et féminin a toujours été interprétée, de façon hiérarchisée, au bénéfice du premier.

Claudine Cohen dans son livre “La femme des origines” part d'une autre évidence, l'homme préhistorique fut aussi une femme. Cela n'avait guère effleuré les préhistoriens phallocrates du 19è siècle! La question du rôle et de la place de la femme est restée marginale très longtemps; l'homme préhistorique devait être chasseur, artiste, conquérant alors que la femme se devait d'être passive et reproductrice. La femme est restée livrée aux fantasmes et aux lieux communs de notre société moderne. Cependant l'histoire des rapports entre les sexes n'a certainement pas été linéaire, ni une longue route tranquille. Lucy comme l'Eve africaine vieilles de quelques millions d'années ne sont-elles pas davantage des élucubrations scientifiques que le résultat d'études rigoureuses? Les sites du Paléolithique ont livré d'étonnantes images de femmes souvent d'une grande beauté et probablement déifiées.

Dans son ouvrage “La descendance de l'Homme et la sélection sexuelle” Darwin fait de la femme qui était archéologiquement invisible, un principe majeur de l'évolution humaine, atout essentiel de la formation des espèces par le choix qu'opèrent les femelles en choisissant leurs partenaires. Il y a tri déterminé par la séduction de la femme. Les hommes sont devenus de moins en moins bestiaux et les femmes de plus en plus belles. C'est ce qui a caractérisé l'humanité primitive et l'évolution des caractères sexuels de l'espèce. On pense maintenant qu'en ces temps lointains l'organisation sociale s'opérait autour des femmes qui n'étaient pas uniquement gardiennes du foyer; tuer un mammouth pour en faire un rôti était chose périlleuse mais l'humanité à son origine vivait aussi de charognes, la force mâle étant alors inutile. Le mariage n'existait pas, l'état social du groupe était matrilinéaire puisqu'on ignorait le rôle du père et la seule filiation reconnue était la mère. Ce fut progressivement l'avènement d'une forme de matriarcat ou de matrilocalité. L'ascendant de la femme dans les sociétés primitives n'était pas fondé sur un pouvoir économique mais sur l'organisation du groupe social. Etant donné le nombre de statuettes féminines retrouvé, on peut y voir la trace d'une déesse mère. De ce matriarcat ne subsiste aucune trace, mais d'un patriarcat originel non plus. Des discussions sont engagées actuellement sur ce sujet pour, de la préhistoire, arriver à expliquer le rôle et la place de la femme dans notre société moderne.

Il est très difficile de trouver des vestiges de la vie sociale, de la division du travail et de la distribution sexuelle au paléolithique. Il s'agit de trouver les femmes et de mettre à jour les preuves permettant de les identifier. Le matriarcat prit fin entre 3000 et 5000 ans avant notre ère au moment des premières invasions barbares et de la primauté de la force virile chez les Grecs.

La genèse relatée dans la Bible ou la Kabbale a été transcrite par des scribes masculins, lors d'une période où le patriarcat était devenu tout puissant. Il est dit dans la Genèse, chapitre 1: «Dieu créa l'homme à son image, mâle et femelle il les créa» alors que dans le chapitre 2 il est écrit: «Dieu transforma la côte qu'il avait prise à l'homme en une femme qu'il lui amena». N'y eut-il pas double création? Dans la Kabbale on peut lire: «il n'est pas bon que l'homme soit seul, il lui créa une femme de la terre comme lui et il l'appela Lilith». L'homme et cette première femme étaient égaux puisque issus tous deux du même limon. Ils ne purent s'entendre et Lilith, la première femme, s'envola pour devenir la femme de Sammaël, Satan. Lilith solitaire, orgueilleuse, ne revendiquant que l'absolu, l'initiatrice et médiatrice mais aussi démoniaque et castratrice. Le Zohar dit: «Dieu fit l'Homme parfait. Mâle et femelle, la femelle comprise dans le mâle, l'androgyne originel». Or la femelle conçut le mâle et enfanta l'esprit d'Adam. La côte qui aurait servi à façonner Eve ne serait qu'une traduction erronée, ne faudrait-il pas plutôt lire “le côté”. Ainsi Dieu aurait utilisé la moitié femelle d'Adam pour créer Eve. La misogynie et le patriarcat datent de cette époque car lilith transformée en serpent a fait que ce soit Eve qui pêche la première et offre la pomme à Adam, au point qu'il est dit «malheur au Monde quand les femmes le dominent».

La domination de la femme par l'homme ne se justifie que par des écrits invérifiables imposés par des patriarches à leurs coreligionnaires, juifs, musulmans ou chrétiens que le monde occidental a transmis au reste de la planète. L'homme ne pouvait être que supérieur. Le monde a longtemps été très misogyne et la religion a chapeauté la philosophie. Il n'y avait pas de femmes dans ce domaine. Il a fallu attendre l'aube du XXe siècle. Pour Nietzsche la femme n'est que «le repos du guerrier», on lit dans Zarathoustra «si tu vas chez les femmes n'oublie pas le fouet». Où est le temps où Epicure ouvrait Son école, Le Jardin, autant aux femmes qu'aux hommes.

Pourquoi cette domestication de la femme et la domination d'un des sexes par l'autre? A L'évidence parce que les hommes veulent contrôler le pouvoir de la reproduction qui leur échappe. Aristote a très clairement théorisé ce fantasme en montrant la matière féminine comme une masse proliférante, informe, que seul le pneuma, l'âme contenue dans le sperme, permet d'organiser.

Comme Claudine Cohen, je crois que la féminité est dans l'humain, dans notre moi intérieur, que la construction du moi intérieur est protégée, et que cette protection relève d'un processus féminin.

Actuellement, dans le domaine des sciences sociales, la question de la différence de sexe ou des rapports entre hommes et femmes, fait l'objet de recherches dont la pertinence est aujourd'hui reconnue. Dans toutes les sociétés, les enfants à leur naissance sont classés dans l'un ou l'autre ordre sexuel d'après l'inspection morphologique de l'enfant nu. Or, il existe pourtant des variantes des composantes du sexe induisant des différences de comportement selon chaque individu. C'est la notion de genre telle que la conçoivent les anglo-saxons, dans la classification féminin-masculin.

Définissons les notions de sexe et de genre: aujourd'hui on reconnaît quatre composantes au sexe qui sont: anatomique, biologique, psychologique et comportemental ou social. Le genre permet de distinguer le sexe social du sexe biologique. Il y a invariance du sexe biologique dans sa composante génétique et la variabilité du genre et du sexe anatomique.

C'est à la fin des années 1960 qu'émerge, dans les travaux des féministes anglo-saxonnes, la notion de «genre» qui se distingue de celle de «sexe». Cette dernière recouvre les caractéristiques biologiques propres aux hommes et aux femmes tandis que la notion de genre se rapporte aux attributs psychologiques, activités, rôles et statuts sociaux de chaque sexe.

Le sexe biologique apparaît alors comme une donnée de “nature” dont la caractérisation s'inscrit dans un contexte social alors que le genre est un outil, pour analyser le système de relations entre les sexes. Le masculin tient lieu de référent universel et tend à être défini comme supérieur à l'autre, par ses acquis biologiques; cela peut aller jusqu'à l'absorption du féminin, voire son rejet hors de l'humain. Pourtant, les marqueurs de l'identité féminine sont dans la nature tandis que l'identité masculine est issue de la culture. «Qu'est-ce que la virilité sinon la non féminité» lit-on dans “La domination masculine” de Pierre Bourdieu.

Les questions de base sont donc:
• Qu'est ce qu'être un homme?
• Qu'est-ce qu'être une femme?
• Comment le vit-on?
• Comment peut-on cohabiter?
• Pourquoi observe-t-on dans toutes les cultures des civilisations d'aujourd'hui la dévalorisation systématique du féminin?

Dans un lieu donné, hommes et femmes se côtoient en sachant comment se comporter vis-à-vis des autres en fonction de son sexe ou de son genre apparents. Dans la mesure où un individu élabore le sentiment de qui il est en se référant à sa classe sexuelle, en se jugeant lui-même par rapport à sa masculinitude ou sa féminitude, on doit parler d'identité de genre. Il y a dans la société un accommodement, une acceptation tacite de la différenciation des genres, chaque classe sexuelle créant ses propres modes de relation et de fonctionnement interne tels que les réseaux ou les associations. Nous arrivons ainsi à découvrir deux planètes, deux peuplades qui s'interpénètrent chacune avec sa propre éducation, sa façon d'être, de parler, un comportement en société bien défini, une manière intrinsèque de se tenir, des contraintes biologiques qui imposent une séparation de certains lieux publics. Il y a traitement initial différent imposant une socialisation dissemblable qui aboutit à se trouver au sein d'une classe sociale définie entraînant des emplois différents, des salaires-à compétence égale-divergents, pour ne retenir, que ces exemples là.

Dans son ouvrage “Un étrange arrangement” Erving Goffman, inventeur de l'infiniment petit en sociologie, perçoit la domination masculine non seulement dans les discriminations ou les comportements dénoncés comme sexistes, mais aussi et surtout dans les gestes du quotidien, dans chaque situation où la différence des sexes se joue dans une mise en scène, expression de la prétendue «nature» de chacun.

L'arrangement, c'est alors la construction sociale du genre, qui donne à des différences biologiques entre les sexes non pertinentes dans la plupart des entreprises humaines une si grande importance. Notre analyse du monde contemporain s'enrichit de la connaissance de ce type de relation sociale bien particulière, entre ségrégation et proximité, de ces femmes et hommes ensemble, séparés.

Les tabous régissant la frontière entre les genres est très difficile à franchir. Il a fallu attendre la moitié du 20e siècle pour que les femmes, majoritairement, prennent conscience qu'unies elles pouvaient faire évoluer la société: c'est l'apparition du féminisme en tant que mouvement politique transversal des autres formes d'organisations politiques.

Quels sont les gains apportés par le féminisme? Le droit à l'avortement, la pilule sur ordonnance choisir la date de la procréation de ses enfants, la revendication de son plaisir, qu'il y ait deux chefs de famille, avoir une autorité parentale conjointe, un chéquier à son nom, choisir son métier, obtenir une réalité et un statut sociaux indépendants, la possibilité de dire explicitement “oui” ou “non” à l'autre; d'être une femme et pas uniquement une mère et une putain qui se résument à bien élever ses enfants, à bien tenir sa maison, à être une forme alitée à remplir! Que de progrès dans ces mesures obtenues souvent avec l'aide des hommes, avouons-le!

Aucun progrès social n'est gravé dans le marbre proclame Christine DELPHY, y compris celui inscrit dans une loi. Comme tous les acquis sociaux, les progrès obtenus par la lutte féminine, demeurent fragiles face aux mentalités ancrées dans l'inconscient collectif.

La contre-offensive patriarcale se constate dans tous les pays. En général ce sont des femmes que l'on envoie en première ligne, pour dire que le féminisme ne passera pas ou n'est pas passé, n'est pas ou n'est plus utile, a toujours été nocif ou l'est devenu. Parmi elles, d'anciennes féministes ou sympathisantes, dont la parole est dégustée avec cette gourmandise un peu obscène autrefois réservée aux «confessions» d'anciens staliniens. Souvent empruntés aux États-Unis, les thèmes sont partout les mêmes: les féministes exagèrent car l'oppression des femmes, c'est fini, le harcèlement sexuel ça n'existe pas, le viol entre conjoints non plus. Dans le domaine des mœurs, il existerait une «exception française»: les rapports entre les sexes seraient idylliques: le grossier sexisme étranger laisserait la place à la fine «séduction» gauloise. On peut se demander comment des gens intelligents arrivent à croire, en dépit des enquêtes, des chiffres, des faits divers montrant l'extraordinaire similitude d'un pays à l'autre, que l'oppression des femmes s'arrête tout net à Annemasse et à Port-Bou comme en son temps le nuage de Tchernobyl.

Quand les conventions internationales ou les directives européennes restent lettre morte, quand les lois internes interdisant la discrimination sexuelle ne sont pas plus appliquées que celles interdisant la discrimination raciste, il faut alors parler de collusion non dite —mais néanmoins réelle— entre tous les acteurs: employeurs, syndicats, appareil judiciaire, Etat, médias. En France, la loi de 1983 sur l'égalité dans le travail n'a jamais été mise en œuvre; elle était d'ailleurs faite pour ne pas l'être car elle ne comporte aucune sanction. La loi «Génisson» de 2001 sur le travail des femmes en avait introduit quelques-unes, le chef de l'Etat a annoncé son intention de la faire appliquer, à la veille des élections régionales. Une promesse en forme d'aveu puisqu'il faudrait une intervention présidentielle pour qu'une loi soit considérée autrement qu'un chiffon de papier. Celle sur l'avortement est violée matin, midi et soir par les hôpitaux, les chefs de service, les services sociaux et l'Etat, qui ne mettent pas en place les centres d'interruption volontaire de grossesse (IVG) prévus par les décrets d'application. Un combat constant se révèle nécessaire pour empêcher qu'entre les «dysfonctionnements» et le travail de sape des lobbies anti-choix, l'IVG ne disparaisse purement et simplement.

J'en viens à la citation bien connue de Simone de Beauvoir: «On ne naît pas femme, on le devient». Comme cela peut paraître vrai! Mais à contrario naît-on homme ou le devient-on? Y-a t'il un premier et un second sexe puisque je viens d'essayer de démontrer que les deux genres, masculins et féminins vivent ensemble bien que séparément? Où est la primauté de l'homme par rapport au féminin? N'est-ce pas l'éducation qui fait la femme ou l'homme? La réflexion est lancée.

J'en finirai par une citation de Geneviève FRAISSE: «Les femmes doivent s'emparer du politique en l'utilisant, qu'elles aillent au charbon, mettent les mains dans la matière, utilisent les leviers possibles.». «Ce qui me frappe, rajoute-t'elle, dans le mouvement “Ni putes ni soumises”, c'est sa volonté et sa capacité à mixer l'associatif et le politique. En plus de trente ans d'engagement féministe, c'est la première fois que je vois ce travail mouvementiste associé à une stratégie politique précise. Il faut s'emparer du politique, ce qui ne signifie pas seulement avoir des élues, c'est s'affronter, se confronter au politique, s'engager dans un rapport de force pour ne pas rester en dehors de l'histoire. Je sais que cela est extrêmement difficile nous dit-elle dans la mesure où, nous les féministes, dépensons une partie de notre énergie à faire comprendre que la question “femme” est une question globale, et non pas particulière.»

N'est-ce pas insolite que la classe dominée puisse s'accommoder de la classe dominante? Depuis quand, combien de siècles, les dominées subissent-elles dans l'acceptance la pression des dominants?

En travaillant à l'amélioration morale et matérielle, au perfectionnement intellectuel et social de l'Humanité, nous avons le devoir de réagir dans notre participation à la vie publique, sociale et culturelle de notre société.


Diane POTIRON


Bibliographie:

- Masculin/Féminin de Françoise HÉRITIER (deux tomes).
La pensée de la différence
Dissoudre la hiérarchie

- La femme des origines de Claudine COHEN

- Lilith, avatars et métarmophoses d'un mythe entre Romantisme et décadence de Pascale AURAIX-JONCHERE

- Le retour de Lilith - La lune noire de Joelle de GRAVELAINE

- La domination masculine de Pierre BOURDIEU

- L'arrangement des sexes de Erving GOFFMAN

- La distinction entre sexe et genre - Les cahiers du genre

- C'est pour un garçon ou pour une fille? La dictature du genre de Georges-Claude Guilbert

Mis en ligne le 20/09/2007.


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